Physical Address

304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124

Mircea Cartarescu : « J’aurais voulu être Borgès, mais si j’avais été Borgès, j’aurais voulu être Kafka »

Né en 1956 à Bucarest, lu dans le monde entier et régulièrement cité dans la liste des nobélisables, Mircea Cartarescu est le plus important écrivain roumain contemporain. Théodoros, son nouveau roman, qui a connu un grand succès commercial et critique en Roumanie, est, comme chacun de ses livres, un monde en soi, d’une profusion et d’une profondeur infinies. Il a accepté de guider « Le Monde des livres » dans ses dédales.
Cela m’a fait l’effet d’une révélation. J’en ai ressenti des frissons : voilà un des plus fantastiques sujets de roman qui soit, me suis-je dit. Quelle histoire exemplaire et archétypale ! Combien de pos­sibilités narratives ! Un insignifiant domestique de l’insignifiant pays valaque [la principauté de Valachie, dont l’union, en 1859, avec la Moldavie, donnera naissance à la Roumanie] a un rêve unique, une obsession qui absorbe toute sa vie : celle de devenir empereur. Et finalement, au terme d’événements grandioses, tragiques, grotesques, entraînants, absurdes, héroïques, il parvient à accomplir son rêve : il devient Téwodros II !
J’y pense depuis lors. J’avais noté dans mon journal : « Un jour j’écrirai l’histoire de Théodoros. Si je ne la raconte pas, personne ne le fera jamais. » Et puis j’ai creusé, mon journal s’est truffé d’autres passages à ce sujet, mais plus le temps passait et moins j’avais la conviction qu’un jour je l’écrirais vraiment, ce livre. J’étais absorbé par les romans de ma vie intérieure, Lulu [1994 ; Austral, 1995], Orbitor [1996 ; Denoël, 1999] et Solénoïde [2015 ; Noir sur Blanc, 2019], qui sont la cartographie générale de mon cerveau, et cela m’a pris un quart de siècle.
Je n’ai pas trouvé le temps ni les conditions nécessaires pour me dédier à cette démonstration de liberté narrative ­absolue qu’est Théodoros. Il m’aura fallu attendre trois décennies pour cela, et, quand tout a été mûr, j’y ai consacré deux ans de travail qui condensent la plus somptueuse aventure de ma vie.
Il vous reste 84.1% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

en_USEnglish